"Le rapprochement semble évident, pourtant il n’a guère
été souligné: la crise financière a bien des points communs
avec la crise du management", constate Anne Dousset,
ancienne DRH et auteur d’un ouvrage remarqué sur le
Management à contresens, responsable du désengagement
rampant des salariés, source de contre-productivité.
L’aspect le plus frappant est, sans contredit, une montée en
puissance de la dématérialisation qui, dans la finance,
prend la forme d’une titrisation excessive et dans le
management d’une multiplication des process qui, en bout de
ligne, paralyse l’initiative et génère un repli sur soi. Une
logique poussée à l’extrême qui voit désormais des collègues
travaillant dans le même open-space finir par correspondre
entre eux uniquement par mails pour surtout ne pas se
déranger, constate un brin effarée celle qui dirige
désormais le cabinet de conseil en management et
organisation ADP&O. Les deux sphères sont également
transformées par une mondialisation galopante. “Sur le plan
financier, les marchés sont désormais interconnectés. Le
moindre événement est susceptible de rejaillir aux quatre
coins de la planète. Quant au management, "il est frappant
de constater que les cadres aujourd’hui, dans les grands
groupes internationaux, ont des responsables disséminés à
travers le monde”, analyse Anne Dousset. D’ailleurs, elle
observe que ces cadres ont de moins en moins de
collaborateurs et de plus en plus de patrons.
Une montée en puissance de la dématérialisation qui prend la
forme dans le management d’une multiplication des process
qui en bout de ligne paralyse l’initiative et génère un
repli sur soi
Troisième point de convergence: un court-termisme de plus en
plus insoutenable qui arrive au bout de sa logique. “En
finance, le crédit revolving pour la consommation et les
subprimes pour l’immobilier sont responsables de la
déconfiture des marchés. C’est une spirale infernale avec de
l’argent artificiellement disponible à tout moment pour
s’offrir des biens. Ce mouvement a son pendant dans le
management avec une pression accrue pour faire du forcast
permanent et du reporting à très court terme. Dans les
groupes anglo-saxons, les cadres passent leur temps à
expliquer ce qu’ils ont l’intention de faire d’une part, et
pourquoi ils ne l’ont pas fait d’autre part, et ce au lieu
de produire. Heureusement que les stagiaires travaillent”,
lâche un brin ironique Anne Dousset. Le résultat pour la
finance et le management est sans appel : “Une crise de
confiance majeure pour ces deux sphères où les acteurs n’ont
plus vraiment de prise sur le travail qu’ils font. Il n’y a
plus de lien direct entre l’activité et le résultat”, assène
Anne Dousset.
Concrètement, finance et management sont en faillite avec
comme conséquences dramatiques pour la première, la chute de
Lehman Brothers et consorts, et pour le second, les suicides
dans les entreprises. Mais dans les deux cas, ce n’est que
la partie émergée de l’iceberg. La crise financière a aussi
entraîné une crise économique qui partout en Occident pousse
le chômage à la hausse. Quant au management d’aujourd’hui,
il en résulte chez les salariés une perte d’engagement et de
compétences, notamment chez les jeunes diplômés en poste.
“Il y a une crise très profonde. Par exemple, les valeurs
dans l’entreprise, on en parlait il y a dix ans. Désormais
les jeunes n’y croient plus. C’est suspect à leurs yeux”,
signale Anne Dousset. Pas de doute, le management comme la
finance sont à la croisée des chemins. “Le système est à
bout. La question fondamentale est donc: comment recréer un
équilibre ? Je ne vois qu’une réponse: celle de l’énergie et
de la force que le “micro-management à moyen terme” opposera
au poids de la “macro-finance à court terme”. C’est
l’affaire des managers et surtout des dirigeants”, estime
Anne Dousset qui propose trois ingrédients susceptibles dans
le management de redonner espoir : la fierté de contribuer à
un projet qui “fait du sens”, l’estime de soi par
l’appartenance à un collectif et une relation hiérarchique
saine et confiante.
M.B.