Anne Dousset, ancienne DRH, et
directrice du cabinet de management ADPO, remet en cause
certaines idées reçues en matière de management et de
motivation, et livre ici quelques conseils "frappés au coin
du bon sens".
En quoi la crise financière a-t-elle
un impact sur la motivation des salariés ?
65 % des cadres restent relativement
optimistes d'après une récente étude. Évidemment certains
secteurs vont plus mal que d'autres, comme la banque,
l'automobile ou l'immobilier. Ailleurs l'heure est à la
prudence. Les recrutements sont gelés, les dépenses sont
limitées mais globalement les gens ne se sentent pas
fortement menacés. Il faut donc éviter toute généralité. En
revanche, matière de management de proximité.
Qu'attendent les salariés de leurs
managers ?
Les attentes de toute personne sont
d'exister, d'être reconnue comme une entité personnelle et
de développer l'estime de soi. Ceci est un besoin universel,
qui ne dépend pas du contexte. En revanche, ce qui est
source d'implication ou de motivation relève de trois
leviers : l'entreprise, l'équipe et le patron. L'entreprise
doit susciter une certaine fierté. Dans ce domaine les
entreprises sont très inégales. Il est par exemple plus
délicat d'être fier de travailler pour une société qui
fabrique des cigarettes que pour une agence d'événementiel.
L'appartenance à l'équipe est également importante. Nous
n'existons pas tout seul. Pour exister, les études
sociologiques montrent qu'il faut appartenir à des tribus.
C'est dans l'équipe, en s'engageant avec ses collègues que
l'on développe l'estime de soi. Ce sentiment d'appartenance
est pourtant mis à mal par les évolutions actuelles. Du fait
de la mondialisation et de la complexité des systèmes
hiérarchiques, les individus appartiennent aujourd'hui à de
nombreuses équipes différentes. Du jour au lendemain, en
fonction des projets, un cadre peut faire équipe avec ses
voisins de bureau comme avec des membres d'autres services
ou d'autres pays. Et à force d'appartenir à beaucoup
d'équipes, il n'appartient plus à rien. Les salariés ont
donc besoin d'une relation managériale basée sur la
confiance. C'est l'authenticité et la proximité qui
inciteront les collaborateurs à prendre des risques sans
avoir peur de se voir réprimandés. Quand tous ces paramètres
sont réunis, l'effet est très puissant en termes
d'efficacité de travail. Aujourd'hui, avec la crise, plus
l'entreprise a des responsables inquiets et plus les
employés le seront. Le travail de manager dans ce contexte
est beaucoup plus difficile, car la crise aiguise les
conflits. Et les managers doivent y faire attention. En
période de tension, il est également plus difficile de
prendre des risques. Chacun a tendance à ouvrir son
parapluie pour se protéger.
Comment mesurer la motivation ?
En général il est plus facile de mesurer
la démotivation que la motivation. Ce qui coûte très cher,
c'est d'avoir des équipes qui traînent les pieds. Le centre
de décision peut-être entouré de cercles concentriques très
éloignés. Parfois, ceux qui se trouvent en périphérie
travaillent dans le vide, pour la simple raison qu'ils sont
moins bien informés que ceux qui se trouvent au centre. Et
lorsqu'ils s'en aperçoivent ils ont l'impression d'avoir été
méprisés. Ces erreurs arrivent moins lorsque les
collaborateurs ont leur patron sous la main. L'éloignement a
également pour conséquence que des personnes qui pensaient
être haut placés dans la hiérarchie sont "rabaissées". Le
directeur d'usine était auparavant un notable respecté et
haut dans la hiérarchie, alors qu'aujourd'hui il doit rendre
des comptes au plan mondial et finit par se préoccuper
davantage de manager ses supérieurs que ceux qui sont sous
sa responsabilité. L'éloignement des lieux de travail et des
lieux de décision a engendré une certaine distanciation mais
également une certaine virtualité. Lorsque les gens sont
tous derrière leur ordinateur, qu'ils font leurs réunions en
vidéoconférence, ils passent leur temps à communiquer.
Pourtant, le fait de parler avec le monde entier en un clic
ne les empêche pas de se sentir horriblement seuls.
L'expression "seul dans la foule" illustre bien le travail
d'un certain nombre de cadres aujourd'hui.
Peut-on motiver de la même manière
les cadres et les employés ?
Certaines attentes sont communes, comme
la reconnaissance et le sentiment de servir à quelque chose.
Ceci passe par des choses extrêmement simples. Adresser des
félicitations à un collaborateur et il sera content pour
plusieurs semaines. Ceci peut paraître simple mais l'effet
positif est très puissant, Il y a cependant des différences.
Sans faire de généralités, les cadres ont davantage
l'ambition d'évoluer et de faire carrière, que des employés
ou des ouvriers qui se soucieront davantage de la sécurité
de l'emploi.
Quelles sont les erreurs classiques
des managers en temps de crise ?
La plus grande est de s'enfermer dans son
bureau, tout en affirmant que sa porte est ouverte. Quand un
manager fait une tête de six pieds de longs, la porte pourra
toujours être ouverte, personne ne la passera. La première
erreur fondamentale est donc de mettre de la distance. La
deuxième est de ne pas parler pour ne pas inquiéter. Mieux
vaut dire honnêtement que les recrutements ont été coupés et
que d'autres mesures pourraient suivre, que de le cacher.
Car les gens sont adultes et préféreront l'entendre plutôt
que de voir les choses arriver par surprise. Une des erreurs
essentielles est également de ne pas écouter. Les managers
s'imaginent que pour communiquer il faut parler. Mais pour
communiquer, il faut avant tout savoir écouter et pas
seulement "occuper le terrain".
Quelle est la place du salaire dans
la motivation des salariés ?
Le salaire vient couronner une
reconnaissance managériale préalable. Il est normal qu'un
salarié soit bien payé quand il travaille bien. Pourtant
c'est commettre une immense erreur que de n'appliquer que
des augmentations de salaire en guise de reconnaissance. Il
faut lutter contre l'idée que tout effort doit être
récompensé par une augmentation ou une prime. On peut par
exemple demander au collaborateur de venir expliquer son
travail devant le comité de direction de l'entreprise. Il
n'en ressentira qu'une plus grande satisfaction. Se voir mis
en avant devant sa hiérarchie pour sa réussite aura beaucoup
plus d'impact sur le salarié que n'importe quelle
augmentation de salaire. Car bouchée avalée n'a plus de
saveur. Une fois l'augmentation digérée, le salaire sera le
même le mois suivant et la motivation risque de retomber
très rapidement. En revanche si un collaborateur s'attend à
recevoir une augmentation et qu'il ne l'obtient pas, chacune
de ses fiches de paie viendra lui rappeler sa frustration.
La démotivation risque alors de s'installer. Par exemple, si
vous avez une équipe de cinquante personnes et que vous
accordez une prime à l'un des membres de l'équipe et pas aux
autres. L'heureux élu va partager sa joie avec ses
collègues. Mais au bout du compte vous aurez démotivé
quarante-neuf personnes pour pouvoir en motiver une seule,
car les autres vont se sentir lésés. L'argent a une
signification lourde et en adoptant des politiques
salariales qui ne sont pas toujours équitables, les managers
peuvent faire beaucoup d'erreurs. En revanche, en termes de
management et de communication il extrêmement simples. Le
fait de dire "bonjour", "merci", "bravo" en y accolant le
nom du collaborateur est absolument fondamental. Pourtant
les managers l'oublient souvent. Lorsqu'un manager passe
devant les bureaux sans s'adresser à ses collaborateurs,
c'est extrêmement méprisant. Alors que s'il s'arrête un
bureau pour discuter et demander des nouvelles, la personne
se sentira reconnue et aura le sentiment d'exister. De la
même manière, un ouvrier à qui le patron de l'usine vient
serrer la main en lui demandant comment il va et comment se
passe son travail, en beaucoup plus efficace de mettre les
gens en-avant, de les motiver et de les féliciter car une
bonne politique managériale dispose de beaucoup plus de
leviers qu'une simple politique salariale. La rémunération
doit rester un complément qui vient couronner des marques de
reconnaissance qui ne sont pas monétaires.
(i) Auteur du livre "Management à
contresens ou Combien coûte la démotivation ? Les leviers
pour développer l'engagement des salariés", paru aux
Éditions d'Organisation.
PROPOS RECUEILLIS PAR
MARION HEILMANN